Traduction par augustebianchi pour La Rue est notre Usine.


Hier, la plus grande grève UberEats a entamé sa deuxième journée d’actions. Presque deux ans après la grève d’août 2016 chez Deliveroo, qui a montré pour la première fois que des travailleurs des plates-formes de livraison alimentaires pouvaient s’organiser et se battre, les travailleurs de Londres ont de nouveau arrêté la machine.

La grève a été provoquée par un changement soudain du système de paiement utilisé par UberEats. Jusqu’ici, le minimum garanti était de 4,26 livres sterling (environ 4,7€) pour chaque livraison. Aujourd’hui, avec ce nouveau système, les commandes sont payées à des taux qui peuvent descendre jusqu’à 2,62 £ (2,9€). Cette nouvelle politique se traduit par une baisse spectaculaire du salaire d’environ 40 %. En réaction, les travailleurs se sont mobilisés. Leurs revendications sont les suivantes : un taux forfaitaire minimum de 5£ par livraison, une prime kilométrique de 1 £ par mille (environ 1,6km), la fin du système de » coefficient multiplicateur » qui fait varier les taux de salaire toutes les heures, ils réclament enfin l’absence de pénalisation contre les travailleurs en grève.

Hier, à 13 heures, les travailleurs se sont rassemblés à Aldgate, dans un « Greenlight Hub » d’Uber (des locaux où les livreurs peuvent s’adresser au personnel d’Uber pour toutes sortes de problèmes, ces locaux n’ont aucune fonction de direction), à l’autre bout de Londres. La foule des travailleurs, pour la plupart sans papiers, voulait forcer l’entreprise à ouvrir des négociations. Pour l’instant, Uber a tenu bon et le directeur a refusé de discuter avec l’ensemble des travailleurs. Afin de « faciliter » les discussions en tête-à-tête avec les livreurs au sujet du nouveau système de rémunération, Uber a réclamé les détails de leur compte. Ce que les travailleurs ont refusé. Ces derniers ont exigé une négociation collective, et savaient très bien que la remise de leurs coordonnées pourrait conduire à leur « déconnexion » (un licenciement pur et simple) pour fait de grève. Uber a distribué une lettre affirmant qu’ils avaient « parlé à des centaines de livreurs au sujet de ces changements ». Les livreur l’ont déchirée. À un moment donné, les travailleurs ont coincé le directeur d’Uber qui tentait d’amener des gens à l’intérieur pour des discussions en tête-à-tête. Ils lui ont demandé s’il travaillerait pour 2,50 £ la livraison. Sa seule réponse a été de s’enfuir, protégé par des vigiles, pour se retrancher derrière des grandes portes vitrées.

Après une heure et demie de va-et-vient sans résultats, les travailleurs sont partis, formant un énorme convoi de scooters en direction d’Aldgate Tower, où se trouvent les bureaux et la direction d’Uber. En arrivant, ils ont bloqué le carrefour entre Whitechapel High Street et Commercial Street, juste en haut du parc Altab Ali. Un autre groupe de travailleurs s’est précipité vers les portes d’entrée, et peu de temps après, toute la tour a été complètement fermée. La police est arrivée et a mis du temps à dégager le carrefour. A 15h20, ils ont imposé leurs conditions à la manifestation : les travailleurs d’UberEats devaient partir avant 16h, sinon ils risquaient d’être arrêtés.

En réponse à cette menace, les travailleurs se sont lancés dans un autre piquet de grève volant, cette fois-ci devant le palais du Parlement. Pendant ce temps, d’autres travailleurs ont organisé des piquets dans les restaurants de leur quartier. Des piquets de grève ont été confirmés à plusieurs McDonald’s à travers la capitale. La grève devrait se poursuivre pour une troisième journée, avec une manifestation au même endroit et à la même heure qu’hier (Aldgate Tower à 13h00).

Cette grève intervient dans un contexte plus large avec l’introduction en bourse d’Uber dès 2019. Dans la perspective de ce moment décisif, le PDG d’Uber Dara Khosrowshahi, a mis davantage l’accent sur UberEats. Ce dernier changement dans le système de tarification semble être une manœuvre visant à réduire les salaires et accroître la rentabilité de la plate-forme. Ce changement intervient au moment même où des rumeurs circulent selon lesquelles Uber serait en pourparlers pour racheter les parts européennes de Deliveroo. Ces derniers, évalués à plus de deux milliards de dollars, sont l’un des principaux concurrents d’UberEats au Royaume-Uni. Une fusion constituerait une concentration massive du capital et un pas important vers la constitution d’un monopole chez les plates-formes de livraison alimentaire.

Cette grève, qui fait suite à celle des livreurs de Glasgow, montre que la tendance à l’organisation chez les travailleurs des plateformes de livraison ne s’essouffle pas. Au cours des dernières années, les grèves se sont propagées à travers le Royaume-Uni – de Londres à Bristol, mais aussi à Leeds, Brighton, Cardiff, Glasgow, Plymouth, ou encore Southampton. Les travailleurs de nombreuses autres villes participent également à des actions informelles à petite échelle et sont également en train de s’organiser. Dans peu de secteurs classe ouvrière peut prétendre à un tel degré d’auto-organisation. La prochaine étape serait que ces combats à l’échelle de différentes villes convergent à l’échelle nationale et qu’ils s’attaquent de front à UberEats.


Une nouvelle journée d’action est prévue pour le 4 octobre 2018 conjointement avec les grèves dans les McDonald’s et les Wetherspoons.


authors

Callum Cant (@CallumCant1)

Callum Cant is the author of Working for Deliveroo and a postdoctoral researcher at the Oxford Internet Institute. His research focuses on Artificial Intelligence in the workplace, and how technological change interacts with worker self-organisation.

Lydia Hughes (@lydiakathleenh)

Lydia Hughes is a trade union organiser.