Traduit par Strike : collectif d’enquêtes militantes. Nous publions une traduction de cet entretien publié par Notes From Below paru dans le 17e numéro, In and Against the Union. Ce texte décrit une réalité qui traverse de nombreux pays européens, en particulier après la crise hospitalière du Covid. Le secteur de la santé a été un des principaux secteurs où de nombreuses démissions ont eu lieu après 2020 (en France, au Royaume-Uni et en Italie au moins). Au delà de cette dynamique de démissions, on a aussi vu la combativité des travailleur·ses de la santé dont ce texte donne un aperçu au Royaume-Uni.


Je travaille comme infirmière dans une unité de soins post-opératoires. Nous ne devons nous occuper que de deux patients à la fois. Lorsque je dois faire sortir des patients de la salle de réveil pour aller aux salles de soins, je me sens tellement coupable d’emmener mon patient en haut. Quand j’y arrive, je vois des infirmièr·es au bout du rouleau parce qu’elles ne peuvent pas accepter un autre patient post-opératoire alors qu’il y a déjà quatorze patients pour une seule infirmière. Je vois des infirmièr·es tomber comme des mouches, ne serait-ce que dans mon service. Iels ne changent pas de service ou d’hôpital, iels ne veulent tout simplement plus faire de soins infirmiers. En ce moment, le travail d’infirmièr·e est vraiment déchirant.

Fondamentalement, tout se résume à la rémunération. Les gens ne sont pas en mesure de vivre avec le salaire d’infirmièr·e. Le coût de la vie est trop élevé et le salaire n’est tout simplement pas viable. En fait, on peut être mieux payé en travaillant à temps plein chez Waitrose1. Je connais des infirmières qui dépendent des banques alimentaires pour survivre, c’est dire à quel point la situation s’est dégradée.

Lorsque j’ai suivi ma formation d’infirmière il y a plus de treize ans, nous percevions une bourse. Cela a permis de promouvoir les soins infirmiers et de faire en sorte que les infirmièr·es ne sortent pas de leur formation avec des milliers de livres de dettes. Aujourd’hui, les infirmières nouvellement diplômées doivent rembourser leurs dettes d’études et tenter de survivre à la crise du coût de la vie. Qui va s’en charger ?

La sécurité des patients est fondamentale, mais elle fait défaut uniquement parce que nous n’avons pas assez d’infirmièr·es. Nous n’avons pas assez d’infirmières parce qu’elles sont mal payées. C’est un cercle vicieux. Je suis convaincue à 100 % que personne ne se lance dans les soins infirmiers pour le salaire. Nous y allons parce que nous voulons faire la différence. Nous sommes des personnes bienveillantes, mais il faut quand même pouvoir vivre.

L’expérience du COVID-19

Le service dans lequel je suis habituellement n’est pas intensif, nous aidons les gens à se remettre d’une opération. En général, nous les réveillons, leur donnons des opiacés et les transférons dans un autre service.

Lorsque la pandémie a commencé, toutes les opérations chirurgicales non urgentes ont été annulées et nous n’avons donc pas eu besoin de nous occuper des soins postopératoires. Nous avons suivi une formation d’une journée sur les respirateurs, puis nous avons été immédiatement transférés à l’unité de soins intensifs. Les infirmières de l’unité de soins intensifs reçoivent généralement une formation de six mois, mais nous n’avons eu droit qu’à une journée. Aucun·e d’entre nous n’a eu l’impression de savoir ce qu’il faisait. On nous a simplement dit que c’était ce que nous devions faire et que nous devions nous y mettre. Mon fils est asthmatique et avait déjà été hospitalisé en soins intensifs à la suite d’un affaissement pulmonaire. Son médecin généraliste m’a dit de ne pas le laisser aller à l’école parce qu’il est vulnérable. Mais je rentrais tous les soirs d’un service COVID-19. J’étais pétrifiée.

J’ai parlé de mon fils à l’hôpital et je leur ai montré des lettres concernant son état de santé. J’ai dit que je ne voulais pas ramener le COVID-19 chez moi. Ils m’ont dit que je pouvais rester à l’hôtel pendant 12 semaines, mais que je ne pourrais pas rentrer chez moi. Honnêtement, maintenant que c’est terminé, je peux regarder en arrière et rire parce que ça me semble tellement ridicule. À l’époque, l’idée de ne pas voir mes enfants pendant 12 semaines, à part à travers une fenêtre, ne pouvait pas me convenir.

Même si je suis infirmière, je suis avant tout une mère et je devais m’occuper de mes enfants. Pendant ce temps, j’ai envisagé d’abandonner mon travail. Porter l’EPI (Équipement de protection individuelle) pendant des périodes de quatre heures était horrible, mais je devais le faire. Je sentais qu’ils avaient besoin de moi, alors j’ai porté tout l’EPI. Un jour, la première chose que j’ai vue, c’est un ami très proche de la famille sous respirateur. J’ai éclaté en sanglots, j’ai quitté l’unité et je n’y suis jamais retournée. J’ai dit à l’hôpital que s’ils ne me redéployaient pas, j’allais devoir démissionner.

Avant la grève

Au cours de l’été 2020, une manifestation “Black Lives Matter” a eu lieu devant mon hôpital, St Thomas. Au début, j’étais un peu nerveuse à l’idée d’y aller, car c’était la première fois que je participais à quelque chose de ce genre. Notre représentant syndical m’a encouragé en me disant “Viens et tiens-toi sur le pont”. J’étais là, et je vous dis qu’une fois que j’ai commencé, je n’ai plus voulu retourner au travail. Nous nous sommes tous agenouillés et nous avons levé les mains. Nous avons crié. J’ai adoré ça.

Après cela, j’étais très enthousiaste à l’idée de voter la grève. Je suis membre de Unite et du RCN (Royal College of Nursing) et je voulais participer à d’autres marches, manifestations et piquets de grève. J’aime faire beaucoup de bruit lorsque je suis sur le terrain. Je suis toujours celle qui, avec le mégaphone, encourage la foule. Pourtant, je ne pensais pas que la grève de la RCN aurait lieu. Ce n’est pas que j’aie voulu faire grève. Il aurait été préférable que nous obtenions l’accord que nous souhaitions. Mais j’étais heureuse de sentir que nous avions une voix pour une fois. Nous allions vraiment faire quelque chose. En tant qu’infirmièr·e, vous êtes censé·e effectuer votre travail parce que vous y tenez. Cela signifie que vous devez supporter beaucoup de choses. Mais je me suis sentie responsabilisée et heureuse que nous puissions réellement faire grève.

Le jour de la grève

Lorsque la grève a eu lieu, c’était incroyable. L’attente avant la grève avait été énorme. Notre unité était sur la corde raide. Je suis une représentante syndicale et tout le monde me posait des questions. Personne ne connaissait les réponses. “Est-ce que ceci est autorisé ? Ou cela ? Avons-nous le droit de faire grève ?” C’était vraiment, vraiment troublant. C’est compréhensible parce que c’était la première fois, pour moi en tout cas, qu’une grève allait avoir lieu.

Je travaille dans une unité de soins postopératoires et nous n’avons su que juste avant la grève que nous allions être une unité dérogatoire. (Une dérogation est une exemption, soit pour un individu, soit pour un service entier, de participer à une action de grève.) Toutes les opérations chirurgicales non urgentes avaient été annulées, mais le théâtre prioritaire devait continuer à fonctionner. Cela signifiait que nous devions continuer à faire travailler certaines infirmièr·es pour les soins postopératoires dans les cas d’urgence.

La plupart des infirmièr·es ne savaient pas vraiment s’il fallait être membre du syndicat pour faire grève ou si le directeur pouvait leur demander s’iels faisaient grève ou non. Je devais savoir comment recruter du personnel pour cette journée. Mais une fois toutes ces questions réglées, nous étions impatient·s de participer à la journée de grève. La majorité des infirmièr·es étaient partant·es. Quelques-un·es étaient nerveux·ses, mais c’était surtout l’inconnu qui les rendait nerveux·ses. Lorsque nous avons appris que nous étions une zone dérogatoire, certain·es se sont montr·ées nerveux·ses à l’idée de prendre la décision de se mettre officiellement en grève. Le jour de la grève, j’étais impatiente de sortir sur le pont de Westminster. Je voulais être à l’extérieur de mon hôpital et sur un piquet de grève. Bien que je n’aie pas choisi d’être un « piqueteuse officiel », parce que j’avais besoin de courir dans tous les sens pour faire du bruit.

À l’extérieur de l’hôpital, il faisait un froid de canard. Nous essayions simplement de faire du bruit, plus il y en avait, mieux c’était. Une fois sur le piquet de grève, je pense que plus aucun·e infirmièr·e n’était nerveus·e ou inquièt·e. Tout le monde s’est vraiment amusé.

Nous avions un grand chariot rempli de nourriture que tout le monde distribuait. Les gens, qu’il s’agisse du public ou de nos patients, sortaient des services pour déposer des collations sur notre chariot. C’était tellement agréable de sentir qu’iels étaient avec nous, et non contre nous. J’ai vraiment eu l’impression de vivre une période extraordinaire de ma vie et de ma carrière. Je ne m’attendais vraiment pas à un tel soutien de la part du public. On voit des commentaires et on lit des choses sur le fait qu’en tant qu’infirmièr·es, nous devrions simplement nous débrouiller. D’autres disent que nous mettons la vie des patient·es en danger. Ce n’est pas ce que j’ai entendu ce jour-là. Les gens soutenaient beaucoup la grève et j’ai eu l’impression que ma grève faisait partie de quelque chose de plus grand.

Quelle est la prochaine étape?

Après la grève, nous avons discuté de la perspective de gagner alors que nous étions au travail. Nous n’étions vraiment pas sûr·es de nous et nous manquions de confiance en notre capacité à gagner. Le gouvernement semblait tenir bon sur ce point. Cependant, nos discussions ont changé. Nous sommes tous·tes d’accord pour dire que la RCN ne cédera pas et que nous nous n’abandonnerons pas.

Nous n’avons pas toujours été de cet avis. Je suis à la fois membre d’Unite et du RCN. J’ai rejoint Unite pendant la pandémie parce qu’iels étaient toujours prêt·es à se battre dans mon hôpital. Le RCN a toujours donné l’impression de vouloir maintenir l’équilibre. Nous pensions qu’il pourrait accepter un accord qui ne nous conviendrait pas. Maintenant que les choses sont allées aussi loin et que nous avons pris des mesures de grève, je ne pense pas qu’ils céderont. Je suis optimiste et je pense qu’ils iront jusqu’au bout pour obtenir un meilleur accord.


  1. Waitrose est une chaîne de supermarchés. 


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An Anonymous Nurse

A nurse who has recently been on strike