Enquête Amazon
by
John Holland
October 7, 2020
Featured in From the Workplace (#13)
Ce texte d’un ouvrier d’Amazon a été publié dans le 13e numéro de Notes from Below.
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Enquête Amazon
by
John Holland
/
Oct. 7, 2020
in
From the Workplace
(#13)
Ce texte d’un ouvrier d’Amazon a été publié dans le 13e numéro de Notes from Below.
Traduit de l’anglais par Strike Enquête.
Je suis un ouvrier au centre de distribution d’Amazon à Rugeley dans les West Midlands. Amazon appelle ses entrepôts des “centres de remplissage”. Le centre de Rugeley s’étend sur 700 000 m2, compte 1500 employé·es et distribue jusqu’à 600 000 articles par jour. Depuis que la pandémie de coronavirus a frappé le Royaume-Uni, Amazon a répondu à une forte augmentation de la demande en employant des travailleur·ses supplémentaires (surtout des intérimaires), tout en changeant beaucoup la façon dont on travaille pour convenir ostensiblement aux règles de distanciation sociale.
La division du travail
Le travail dans l’entrepôt est divisé en petites tâches répétitives, avec différentes équipes de travail qui se concentrent sur l’une d’entre elles pendant toute la journée. C’est très organisé, tout le monde fonctionne vraiment comme le rouage d’une machine, à peine au courant de ce que font les autres rouages. De ce que je comprends, il y a cinq types de travailleur·ses dans l’entrepôt sans compter les différents niveaux de management et les rôles de soutien. Il s’agit :
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Les receveur·ses : Ce sont les travailleur·ses qui passent leur journée à décharger les boîtes des camions quand elles arrivent au centre de remplissage, et les envoyer pour être préparées ou “packées” pour être préparées.
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Les préparateur·rices : Ce sont les travailleur·ses qui préparent les marchandises de sorte à ce qu’elles puissent être stockées. Ça implique d’ouvrir chaque boîte et d’y coller un code barre propre à Amazon sur chacun des articles, puis de les remettre dans les boîtes et de les refermer. Certains articles doivent être mis dans des sacs spéciaux. Les boîtes sont envoyées pour être entreposées à un des quatre étages de l’aile de stockage qui représente la plus grande partie du bâtiment.
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Les arrimeur·ses : Ce sont les travailleur·ses qui entreposent les biens une fois qu’ils ont été préparés. Chaque arrimeur·se se voit assigner une localisation particulière dans le bâtiment près d’un ascenseur, où les chariots remontent en permanence et où les arrimeur·ses les emportent et les stockent dans les rayons. Chaque arrimeur·se a un scanner qui enregistre leur travail. Leur travail est de prendre un chariot et de scanner le code barre de chaque article, de le stocker dans une corbeille dans les rayons et de scanner le code barre de cette corbeille pour l’enregistrer. ce processus est répété jusqu’à ce que le chariot soit vide, à ce moment on peut passer à un autre chariot.
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Les pickers : quand une commande est faite, les articles sont collectés depuis les corbeilles par des pickers, qui se déplacent dans les allées avec leur propres chariots, chacun avec un scanner leur donnant des instructions sur les articles à ramasser et où les trouver. Ils scannent l’article, ainsi que la corbeille où il le prennent pour inscrire dans le système que l’article à été retiré. Quand leur chariot est plein, il amène les articles aux livreurs.
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Les livreur·ses : enfin, ce sont les travailleur·ses qui passent en revue les articles prélevés dans les bacs, les trient en commandes individuelles spécifiques et les emballent de sorte qu’ils soient organisés par emplacement géographique pour une livraison plus efficace, après quoi les articles sont emballés dans des camions et emportés pour la livraison.
Ces groupes n’ont quasiment aucun contact les uns avec les autres. En fait, la façon dont le travail est organisé fait que vous pouvez facilement passer la journée sans parler à un collègue. Si on devait mettre en place un système de travail pour éviter que les travailleur·ses s’organisent, on ne s’y prendrait pas très différemment. Depuis que je travaille à l’entrepôt, j’ai surtout travaillé comme arrimeur mais j’ai travaillé comme préparateur certains jours.
Amazon doit avoir un système pour calculer de quelle proportion de leur travailleur·ses iels ont besoin chaque jour pour s’assurer que tout roule efficacement, de sorte à ce qu’aucune équipe ne doive attendre une autre en amont du processus de travail. Quand je travaillais dans le prepping, on m’a aussi demandé d’aider à bouger des palettes de marchandises qui devaient être déplacées d’une zone de l’entrepôt à l’autre.
On m’a dit à répétition que je serai formé pour faire cela très bientôt mais pour l’instant, le simple fait de dire que je sais conduire un transpalette était suffisant. Je n’ai en fait aucun certificat, je me souviens juste de la manière de procéder après avoir copié quelqu’un d’autre lors d’un précédent emploi. Ils ne nous obligent même pas à porter des chaussures de sécurité pour travailler dans ce domaine, bien que je les porte volontairement car j’ai déjà fait tomber quelques boîtes sur mes pieds et je n’aimerais pas essayer cela avec mes baskets. Peut-être que je me ferai tomber une palette dessus la semaine prochaine et que je ferai un procès à Amazon.
Il y a aussi des employés qui ne rentrent pas dans les catégories que je décrivais plus haut, dont le rôle est de fournir de l’organisation supplémentaire à la force de travail. Chaque équipe a un·e “leader”, dont le principal rôle est de faire des discours motivants au début de chaque journée et de nous dire de venir lui parler si on a un problème. Iels ne sont pas très apprécié·es. Lorsqu’on leur parle de problèmes, on se voit généralement répondre avec condescendance qu’iels ne peuvent rien y faire et qu’on ne fait que s’agiter. Se moquer de notre chef·fe est probablement le principal moyen pour moi et mes collègues de nous divertir, et cela nous donne un sentiment d’identité collective face aux patron·nes, mais c’est surtout contrecarré par la façon dont tout semble construit pour empêcher les travailleur·ses de s’organiser.
Un autre groupe important est celui des “résolveur·ses de problèmes”. Ce sont des travailleur·ses qui se tiennent derrière des “ordinateurs sur roues” (appelés “vaches” par Amazon) et qui surveillent le processus de travail à la recherche d’erreurs et les corrigent. Par exemple, si vous scannez le code-barres d’un article et qu’il apparaît sur votre scanner comme un article différent, vous devez le remettre à un·e “résolveur·se de problèmes”, car il est clair que quelque chose s’est mal passé dans le processus. Une erreur fréquente consiste à mélanger des articles censés être réservés à une section spécifique avec d’autres. Par exemple, les aliments pour animaux et les substances toxiques doivent être stockés dans leur propre section, de peur qu’Amazon ne tue involontairement le chien de quelqu’un·e. Une grande partie de ce travail semble pouvoir être facilement automatisé. En fait, les allers-retours constants avec les “résolveur·ses de problèmes” donnent l’impression que nous sommes en train d’alpha-tester les systèmes d’Amazon, afin que toutes les erreurs du système puissent être éliminées avant l’introduction inévitable de travailleurs robotisés qui prendront tous nos emplois. Bien qu’ils soient pratiquement des managers, les “résolveur·ses de problèmes” ne sont pas mieux payé·es que nous. Pour accéder à un poste mieux rémunéré, il faut d’abord acquérir de l’expérience en tant que cadre, de sorte que les travailleur·ses acceptent essentiellement d’être promu·es sans rémunération supplémentaire. Tous ces niveaux de gestion sapent efficacement la solidarité des travailleur·ses. En réalité, nous sommes dans le même bateau que les “résolveur·ses de problèmes”, mais la façon dont le travail est organisé nous donne l’impression du contraire.
Travailler chez Amazon
L’une des particularités du travail chez Amazon est le langage étrange qu’il faut apprendre et qui peut être déconcertant au début. J’ai déjà mentionné que les entrepôts sont désormais des “Fulfillment Centres” et que les “Problem Solvers” travaillent sur des “Cows”. Ici, les travailleur·ses ne sont pas appelés “personnel” ou même “employé·es”. Nous sommes tous appelés “associé·es”. Que nous soyons travailleur·ses ou patron·nes, nous sommes tous censé·es être les mêmes, et notre relation avec l’entreprise est présentée comme très chaleureuse, alors qu’en réalité, elle n’est que plus distante. Les travailleur·ses sont conscient·es des implications de cette situation. Un·e membre du personnel m’a parlé d’une “vidéo de propagande” (selon ses termes) qu’Amazon utilise pour enseigner à sa direction comment identifier et empêcher l’organisation syndicale parmi ses “associé·es”. On peut la trouver sur YouTube pour avoir une idée de la façon dont ces gens parlent.1
J’habite à Birmingham, à environ 35 miles du centre de traitement des commandes de Rugeley. Comme je n’ai pas de voiture, mon seul moyen de me rendre au centre à l’heure pour mon service de 7h30 est de prendre les bus mis en place par Amazon, qui partent du centre-ville de Birmingham à 5h50 ou 6h10. Ils nous font payer 4 £ pour être conduits directement au travail, et 4 £ à nouveau pour le retour. On m’a dit que ce service était autrefois gratuit, mais Amazon a compris qu’il pouvait faire payer les travailleur·ses et qu’iels venaient quand même - alors pourquoi pas. J’ai fait le compte et les travailleur·ses qui prennent le bus sont principalement des hommes (comme la main-d’oeuvre en général) et très majoritairement non-blanch·es, bien plus que la main-d’oeuvre une fois arrivée. Je suppose que les travailleur·ses blanc·hes sont plus susceptibles d’avoir une voiture ou d’habiter à proximité. Je dois cependant noter que, bien que “blanc·hes”, la majorité de ces travailleur·ses ne sont pas britanniques. La plupart semblent être roumain·es ou polonais·es. Je quitte mon domicile pour me rendre à vélo au centre-ville à 5h30, prendre le bus à 6h10 pour commencer à travailler à 7h30. Mon service se termine à 18 heures et un autre bus part pour Birmingham à 18 h 30, pour arriver vers 19 h 20, puis je rentre chez moi à vélo, pour arriver vers 20 heures. En comptant le temps de trajet, ma journée de travail dure 14,5 heures, quatre jours par semaine.
Il existe deux types de travailleur·ses : celleux qui sont employé·es par Amazon, appelé·es “badges bleus”, et celleux qui travaillent pour une agence, appelés “badges verts”. Nous devons porter ces badges colorés avec nos données personnelles sur des cordons toute la journée, afin d’être facilement identifiables. Celleux d’entre nous qui travaillent pour une agence et qui ont été recruté·es pendant la pandémie pour répondre à la demande accrue sont désigné·es comme des “héro·ïnes”. Cela me rappelle la façon dont le gouvernement qualifie les travailleur·ses du NHS de héro·ïnes pour avoir été si courageux·ses en travaillant contre le coronavirus sans EPI adéquat. Chez Amazon, il s’agit d’une autre utilisation étrange du langage qui va encore plus loin, puisque chaque membre du personnel de l’agence reçoit littéralement un badge avec un super-héros dessus (par exemple Hyperion, Drax The Destroyer, et ainsi de suite - je ne suis pas doué pour les noms de super-héro·ïnes). On leur demande ensuite de consulter le tableau des héro·ïnes tous les matins pour savoir dans quelle section du bâtiment ils ont été affectés pour la journée. Nous travaillons généralement dans un endroit différent chaque jour, ce qui fait que nous ne connaissons jamais vraiment personne, ce qui rend l’organisation très difficile. Je trouve incroyablement condescendant d’appeler les travailleurs “super-héro·ïnes”, même si mes collègues trouvent cela plus drôle qu’autre chose.
D’après les conversations que j’ai eues avec des travailleur·ses migrant·es, j’ai compris que beaucoup d’entre eux vivent ensemble dans des logements partagés à Rugeley et dans ses environs. En général, l’un d’entre eux possède une voiture et conduit les autres au travail chaque jour. Le salaire est de 9,50 livres sterling de l’heure, avec une rémunération de 1,5 fois pour un jour d’heures supplémentaires par semaine et de 2 fois pour le deuxième. Les travailleur·ses britanniques semblent être pour la plupart des personnes en congé ou licenciées depuis le début de la pandémie de coronavirus. Un collègue m’a dit qu’il ne pensait pas que son emploi existerait encore à la fin de la période d’inactivité, alors même s’il reçoit suffisamment d’argent, il veut trouver un nouvel emploi avant de perdre le sien. Un autre explique que les 80 % de salaire qu’il perçoit ne suffisent pas à couvrir ses dépenses et qu’il doit donc trouver un emploi. Je dois dire qu’il ne semble y avoir pratiquement aucune tension entre les travailleur·ses immigrés et les travailleur·ses d’origine britannique, ce qui n’a pas été le cas dans nombre de mes précédents lieux de travail. Iels partagent un même mépris pour la direction d’Amazon et les règles frustrantes qui nous sont imposées à tous·tes.
Les règles du travail
Ah, les règles. Elles vous sont rarement expliquées en détail, vous ne les découvrez que lorsque vous êtes pris en train de les enfreindre ou qu’un·e collègue vous les explique pour essayer de vous éviter des ennuis. Par exemple, il existe un ensemble de règles concernant la vitesse de travail. Pour les magasinier·es, vous devez ranger au moins un article toutes les trois, quatre ou cinq minutes (le temps précis change régulièrement), faute de quoi vous serez enregistré·e comme “oisif·ve” et risquez de voir votre salaire réduit pour “temps d’oisiveté”. Vous devez également respecter un quota d’articles rangés. On m’a dit qu’il y a une pièce quelque part dans le bâtiment où quelqu’un surveille en permanence la vitesse de travail de chacun·e et peut envoyer quelqu’un·e nous chercher s’iel remarque que quelqu’un·e tourne beaucoup au ralenti. À l’heure actuelle, on me dit que vous devez arrimer l’équivalent de 35 gros articles ou 178 petits articles par heure, sinon vous serez considéré·e comme travaillant au ralenti, à moins que vous ne puissiez donner une excuse valable. Le fait d’être à court de travail en raison de retards survenus plus tôt dans le processus est une excuse valable. Aller aux toilettes ne l’est pas. On nous dit que nous avons le droit de faire des pauses aux toilettes, ce qui est techniquement correct (le meilleur type de correct), mais en réalité, il n’y a aucun moyen d’aller aux toilettes et d’en revenir à temps pour éviter d’être flashé·e comme un travailleur·se au ralenti - à moins que vous n’ayez la chance de travailler juste à côté. D’après mes calculs, il y a quatre toilettes différentes ouvertes aux travailleurs dans le bâtiment de 700 000 pieds carrés, toutes au rez-de-chaussée, alors bonne chance.
Nous avons deux pauses de 35 minutes dans nos tours de garde. La règle est que vous devez travailler chaque minute de part et d’autre de la pause, ce qui peut être contrôlé par votre scanner. Ainsi, par exemple, si vous prenez une pause à 12 heures, vous devez effectuer un balayage à 12 heures et un autre à 12h35, faute de quoi vous serez considéré·e comme ayant dépassé la durée de votre pause déjeuner et vous risquez de subir une retenue sur salaire. Bien sûr, cela signifie que les pauses ne sont pas aussi longues qu’annoncé, car le temps nécessaire pour marcher de votre lieu de travail à l’une des cinq cantines disséminées dans l’immense bâtiment peut aller jusqu’à 10 minutes, surtout avec les règles de distanciation sociale de 2 mètres qui sont appliquées - ce qui signifie que vous ne pouvez pas marcher plus vite que la personne la plus lente dans le couloir. En réalité, ma pause dure plutôt 20 minutes avant que je ne doive retourner à pied à ma zone de travail, afin d’être à l’heure pour effectuer un nouveau balayage à la minute où je reviens.
C’est pourquoi je n’achète pas de la nourriture à la cantine, car le temps supplémentaire qu’il faut pour faire la queue signifie que vous avez à peine le temps de finir avant de devoir commencer à marcher pour revenir. Vous êtes autorisé à apporter des paniers-repas ou d’autres articles dans le bâtiment, à condition d’utiliser un sac en plastique transparent qu’Amazon vous fournit. Il n’a jamais été expliqué pourquoi cela est nécessaire. Normalement, je suppose que c’est pour s’assurer que nous n’apportons pas d’armes dans le bâtiment ou quelque chose comme ça, mais les règles sont devenues beaucoup plus strictes avec la pandémie, donc ça n’a pas de sens. J’ai l’impression d’entrer et de sortir de prison.
Une autre règle que vous apprendrez rapidement est que vous devez rester debout pendant toute la durée du travail, car la position assise favorise la marche au ralenti. Cela devient très frustrant lorsque vous devez ranger de nombreux petits objets dans les bacs situés tout au fond des allées, car on vous demande de vous baisser sur vos pieds ou sur un genou pour faire le travail, mais rien de plus. J’ai également vu un travailleur se faire vertement réprimander pour s’être assis dans les escaliers en attendant que le travail arrive. Cela faisait environ 20 minutes que nous attendions debout. L’une des tâches des “chef·fes” semble consister à patrouiller dans les couloirs pour réprimander les travailleur·ses qu’iels trouvent en train d’enfreindre les règles. J’ai entendu certain·es de mes collègues noir·es se plaindre qu’iels se sentaient victimes d’un profilage racial de la part de ces patrouilleurs disciplinaires et qu’iels avaient l’impression d’être le gamin noir que l’on surveille sans raison dans un magasin au coin de la rue, alors que les enfants blancs courent partout à leur guise. Dans le bus du retour, un travailleur noir m’a raconté qu’il avait été agressivement menacé de licenciement pour avoir porté son masque sous le nez alors qu’il travaillait au dernier étage où il fait très chaud, alors qu’il n’était certainement pas le seul à avoir agi de la sorte. La chaleur et la quantité de marche que vous devez faire ici peuvent être assez fatigante. La semaine dernière, j’ai utilisé une application de comptage de pas et je marche en moyenne 7,1 miles par jour pendant mes shifts.
Outre les chef·fes de file qui se promènent constamment pour garder un oeil sur vous, une chose que vous ne pouvez pas manquer de remarquer en travaillant dans cet endroit est la vidéo-surveillance. Il y a des caméras partout, je ne pense pas qu’il y ait un seul endroit dans le bâtiment où l’on ne soit pas surveillé·e par au moins une caméra de vidéosurveillance. Je pense que cela a un effet psychologique profond sur chacun d’entre nous, la conscience d’être constamment surveillé·e. Un employé m’a conseillé de ne jamais mettre un objet dans ma poche, même si je voulais simplement transporter quelque chose et que j’avais les mains pleines, car cela pourrait être interprété comme une tentative de vol.
Il faut également veiller à ne pas commettre d’erreurs dans le processus de stockage, notamment en faisant les choses dans le mauvais ordre ou en essayant de ranger un objet au mauvais endroit. Par exemple, si un objet que vous scannez apparaît comme étant “inflammable”, vous devez savoir qu’il doit être rangé dans la zone inflammable (plus d’informations sur cette zone ci-dessous) et qu’il doit donc être apporté à un·e résolveur·se de problèmes si vous n’y êtes pas déjà. Si vous tentez de le ranger ailleurs, un message s’affichera sur votre scanner, vous indiquant que vous avez commis l’erreur de trop et que vous devez vous présenter à votre responsable pour vous expliquer avant de pouvoir recommencer à travailler. C’est assez déconcertant ! Tout cela renforce le sentiment d’être surveillé en permanence. Pas aussi déconcertant que le bruyant tapis roulant que vous entendez dans toutes les allées de stockage, qui émet ce “dah dah dah…” constant presque exactement à la même hauteur et au même tempo que le riff de guitare d’ouverture de “Take Me Out” de Franz Ferdinand, de sorte que vous anticipez constamment les mots “SO IF YOU’RE LONELY” qui vont jaillir du système de sonorisation avant de vous rappeler qu’il s’agit simplement du moteur du convoyeur.
Ou peut-être que ce n’est que moi.
Un exemple de la solidarité et de la résistance des travailleur·ses dans ce lieu est la façon dont les travailleur·ses trouvent constamment des tactiques pour contourner la surveillance et jouer le système afin de contourner les règles sans être repérés par le système. Par exemple, si vous voulez aller aux toilettes sans être signalé pour marche au ralenti, une bonne solution consiste à emporter quelques petits objets (par exemple un rouge à lèvres) et à en scanner et ranger un toutes les quelques minutes pendant que vous marchez dans les allées, de sorte que le système ne s’aperçoive jamais que vous vous êtes absenté du travail pendant très longtemps. Cela ne me dérange pas de décrire cette pratique, car je suis sûr que la direction a déjà compris que les gens le font, mais c’est juste pour vous donner une idée des astuces que les travailleur·ses inventent pour éviter que la surveillance automatisée ne s’abatte sur elleux.
Territoire inflammable
Un autre aspect intéressant de cet entrepôt, ce sont les protocoles de sécurité incendie. Tous mes collègues sont d’accord pour dire que pendant notre période d’essai, on leur a régulièrement dit que si l’alarme incendie venait à sonner, il fallait immédiatement tout lâcher et suivre les lignes vertes au sol qui nous mènerait à la première sortie de secours. Ça a l’air assez raisonnable. Et un jour j’y ai pensé et j’ai regardé au sol autour de moi, et alors, ça m’a frappé.
Quelles lignes vertes ?
Je crois avoir passé 10-15 minutes un matin à chercher où sont ces lignes vertes. Il y en a plein de jaunes, de blanches, de grises mais pas de vertes. Ce n’est pas vraiment une procédure anti-incendie. J’imagine que si l’alarme incendie sonne je suivrai donc tout le monde et que je m’en sortirai. Le risque d’incendie à l’air de vraiment dépendre de là où vous travaillez.
Que je disais, même si la plupart des marchandises peuvent être stockées n’importe où, il y a quelques sections spécifiques dans le bâtiment pour stocker des biens qui doivent être séparés des autres. Une de ces sections est la zone inflammable, on dirait une sorte de parc d’attraction pour pyromanes. Il y a un thème constant : celui de faire croire que le travail est amusant ici. On dirait même que la direction demande aux chefs d’équipes d’insérer la phrase “amusez-vous” dans les discours qu’ils nous adressent. Quoi qu’il en soit, Flammable Land se compose d’allées et d’allées de substances inflammables, pas dans le sens de “qui brûlent” comme le papier, mais de choses qui brûlent très rapidement comme l’essence, certains parfums, etc. L’idée est que si un incendie devait se déclarer dans le bâtiment, il ne se propagerait pas très rapidement parce que toutes les choses qui s’enflammeraient facilement sont séparées les unes des autres, de sorte que nous aurions tout le temps d’évacuer le bâtiment. Je n’ai jamais su ce qui était censé se passer si un incendie se déclarait dans Flammable Land. Je suppose que si vous travaillez là-dedans et que vous entendez l’alarme incendie, vous n’avez qu’à courir en suivant les lignes vertes qui ne sont pas là avant qu’un brasier chimique ne vous engloutisse.
La pandémie a entraîné la création d’un nouveau groupe de responsables de l’application des règles. Il s’agit des “champion·nes de la distance sociale”, dont le travail consiste à patrouiller sur le site à la recherche des travailleur·ses qui se trouvent à moins de deux mètres les un·es des autres et à leur dire de s’éloigner. La grande majorité des travailleur·ses semblent déjà s’efforcer de respecter les règles de distance sociale, ce qui, à ma connaissance, n’a pas causé beaucoup de problèmes. Toutefois, le rôle de champion·ne de la distanciation sociale semble avoir attiré des personnes plus intéressées par le fait de dire aux autres ce qu’ils doivent faire que par la santé et la sécurité. J’ai parlé à mon supérieur du désastre de la distanciation sociale qu’est le Heroes Board.
Tous les matins, je vois des tas de travailleur·ses intérimaires arriver en même temps pour voir où en sont leurs équipes, et c’est à ce moment-là que la distanciation sociale s’effondre, car iels ne se sentent pas capables d’attendre assez longtemps pour regarder tous les panneaux un par un, de peur d’être signalé·es comme étant en train de tourner au ralenti. Il est évident que l’application de la distanciation sociale serait beaucoup plus facile si Amazon assouplissait ses règles relatives à la marche au ralenti et aux quotas, afin que les travailleur·ses ne se sentent pas obligé·es de se bousculer constamment pour ne pas être pris·es au dépourvu. Mais cela nuirait aux profits. La seule véritable mesure qu’iels ont prise est de déplacer l’heure de départ du bus de 18h10 à 18h30, de sorte que les travailleur·ses disposent désormais de 20 minutes supplémentaires pour prendre le bus après avoir terminé leur travail, afin qu’il n’y ait pas une énorme ruée vers les portes d’un seul coup. Mais je suppose qu’il s’agit d’un changement qui n’a aucun impact négatif sur Amazon, cela signifie simplement que les travailleur·ses rentrent chez elleux 20 minutes plus tard.
J’ai vu le régime de distanciation sociale s’effondrer lorsque nous avons eu notre première véritable alarme incendie depuis la pandémie. Tout d’abord, après le déclenchement de l’alarme, j’ai dû expliquer à plusieurs travailleur·ses roumain·es que j’avais trouvé·es sur place qu’iels devaient quitter le bâtiment. Iels ne semblaient pas comprendre qu’il ne s’agissait pas d’un test, alors qu’on nous avait expliqué que les tests avaient lieu à 12 heures le mercredi et le samedi, et qu’il devait donc s’agir d’un véritable incendie. Plusieurs centaines d’ouvrier·es ont déposé leurs outils et suivi des lignes vertes invisibles qui les conduisaient hors du bâtiment vers le parking, où ils ont été regroupés et on leur a demandé de porter d’étranges manteaux en papier d’aluminium qui nous ont fait ressembler aux Cybermen de Doctor Who. Je ne sais pas trop à quoi cela servait. Peut-être que c’était pour nous garder au sec en cas de pluie ? Au moins, nous avons eu droit à un peu d’excitation. Mais le véritable moment fort de l’alarme incendie a été la découverte de ces légendaires lignes vertes. Il y en a deux. Elles mesurent environ 2 mètres de long et s’étendent juste devant la porte de sortie de secours. Elles sont donc totalement inutiles comme guide, à moins que vous ne vous trouviez juste à côté, et à ce moment-là, l’endroit où se trouve la sortie de secours est de toute façon assez évident. On se demande pourquoi ils ont passé tant de temps à nous former à ces lignes vertes de sortie de secours.
Construire la solidarité
Il est très difficile de nouer des liens avec les autres travailleur·ses. Vous êtes constamment déplacé d’une section à l’autre, travaillant avec des groupes différents à chaque fois, et tout le monde travaille avec des jours de travail et des temps de pause différents. Si on devait mettre en place un régime de travail dans le but principal d’entraver la syndicalisation, c’est exactement comme cela qu’on s’y prendrait. À cela s’ajoute une forte rotation du personnel. Les travailleur·ses partent régulièrement parce qu’iels ne peuvent pas supporter les conditions de travail à long terme, en particulier les nouvelleaux travailleur·ses qui sont arrivé·es pendant la pandémie. Amazon ne semble jamais cesser d’embaucher de nouvelles personnes, donc elles en remplacent évidemment d’autres. Je soupçonne qu’iels se contentent de licencier périodiquement les travailleur·ses qui n’atteignent pas suffisamment les objectifs pour les remplacer par de nouvelleaux venus, ce qui leur permet d’augmenter constamment leurs moyennes d’efficacité.
Un jour, on m’a averti que ma vitesse de rangement était tombée à moins de 50 % de la moyenne de tous·tes les autres ce matin-là et on m’a demandé de m’expliquer, mais c’était plus de la malchance (par exemple, le manque de place sur les étagères qui me ralentissait) que de la lenteur de ma part et cela ne s’est donc pas répété. Dans le bus du retour, quelqu’un m’a dit qu’un jeune homme s’était présenté au travail ce matin-là à 7 heures, mais que son badge d’entrée n’avait pas fonctionné lorsqu’il avait essayé de le scanner, et qu’on lui avait dit qu’il n’avait pas fonctionné parce qu’il avait été libéré. Il n’a pas dû voir l’e-mail.
Oui, “libéré·e” est un autre mot de l’Amazonien·ne, personne n’est jamais licencié·e ici. J’ai entendu ce mot pour la première fois lorsque j’étais en retard un jour et en arrêt maladie un jour peu après, et qu’on m’a dit que si j’avais un autre arrêt maladie, je serais libéré. Je ne suis pas sûr de la durée de ce congé, sûrement pas pour toujours, mais je n’ai pas été à nouveau malade pour le savoir. Cela semble toutefois remettre en cause la position stricte de l’entreprise en matière de lutte contre les maladies, puisqu’elle incite essentiellement les travailleur·ses à venir malades ou à risquer un licenciement pour absentéisme.
Néanmoins, je pense que l’organisation syndicale pourrait réussir ici si l’on s’efforçait d’élaborer de nouvelles stratégies. J’ai également entendu un collègue raconter à midi qu’il avait fait appel à son syndicat (en tant qu’individu, aucun syndicat n’est reconnu) après avoir dû expliquer ses absences lors d’une réunion disciplinaire, alors qu’il avait déjà dit à la direction qu’il avait eu un décès dans sa famille. L’un des problèmes est que de nombreux·ses travailleur·ses sont roumain·es et qu’iels sont pour la plupart coupé·es des travailleur·ses locaux·les. Je ne pense pas qu’un effort de syndicalisation puisse aboutir si le syndicat n’est pas prêt à investir dans un permanent parlant roumain. Par ailleurs, parler aux travailleur·ses directement à l’extérieur des locaux (comme l’a tenté le GMB, d’après ce que j’ai compris) n’est probablement pas une bonne idée. Les travailleur·ses sont toujours nerveux·ses à l’idée d’être surveillé·es. Une certaine forme de sensibilisation en ligne est probablement nécessaire, mais si nous avons besoin d’une interaction physique, il serait probablement plus intelligent d’aller aux points de dépôt des bus à Birmingham, Wolverhampton, Walsall, etc. et de parler aux travailleur·ses là où il n’y a pas de responsables d’Amazon en train de fouiner.
Il ne faut pas beaucoup d’imagination pour se rendre compte à quel point nous sommes mal payé·es par rapport à la valeur que nous générons pour Amazon. À l’heure où nous écrivons ces lignes, Jeff Bezos possède une fortune de 189 milliards de dollars. Si cet endroit cessait de fonctionner, ce serait probablement toute l’économie des West Midlands qui en pâtirait, tant les gens et les entreprises sont dépendant·es des livraisons en ligne à l’heure actuelle. Combien d’autres lieux de travail peuvent-ils en dire autant ? L’augmentation des salaires devrait être une évidence, mais je n’entends pas beaucoup de travailleur·ses s’en plaindre. Nous sommes tous payé·es un peu plus que le salaire de subsistance et les attentes de beaucoup de gens sont suffisamment basses pour que cela soit acceptable. Ce qui mécontente le plus les gens, c’est l’absence totale de contrôle sur leur lieu de travail - la surveillance excessive, les règles arbitraires, les méthodes de gestion agressives, etc. Il serait probablement plus galvanisant d’essayer de faire en sorte que la direction nous lâche les baskets et de faire de notre lieu de travail un endroit plus agréable.
Featured in From the Workplace (#13)
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John Holland
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